Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/195

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

langueur triste avait fait place, sous les bougies, à je ne sais quelles folles étincelles. Moi-même, dans la sorte d'ivresse de tête où j'étais, j'aiguillonnais sa gaieté rieuse qui allait pourtant contre mon but et la faisait à chaque instant m'échapper.

Au milieu d'une contredanse que je dansais avec elle, j'essayai quelques mots mystérieux et sombres en vue de la menaçante destinée ; ils ne réussirent pas. Elle donnait davantage dans mes autres propos, mais en y répondant d'un ton à demi tendre et moqueur qui ne les acceptait pas tout à fait au sérieux, soit qu'elle ne les crût pas tels réellement, soit qu'elle prît plaisir à me laisser m'aventurer ainsi. Quand les paroles devenaient trop claires et pressantes, elle s'arrangeait si bien qu'un tiers survenait toujours ou que la foule nous séparait. M'étant assis près d'elle vers la fin de manière qu'elle ne pût m'éviter, elle s'y prêta comme à un jeu d'abord puis s'avisa de frapper ma main et le bras du fauteuil où je l'appuyais, à coups vifs et serrés d'éventail, comme pour arrêter à mes lèvres les paroles ; et bientôt elle se levait et glissait à travers les groupes éclaircis, légère, rusée et triomphante. C'était une métamorphose de fée que je voyais en elle ; j'en restai fasciné et confondu. Ma gaieté d'emprunt tomba. Je la reconduisis peu après jusque chez elle, à deux pas, en gardant presque le silence, et je rentrai au logis dans un grand désordre intérieur. Toutes les fois que je rentrais maintenant, je n'ouvrais jamais ma porte sans une certaine émotion, regardant si la carte décisive n'avait pas été glissée dessous, durant mon absence.

Je ne pensais mon ami, vous parler de moi que par rapport à notre maladie commune ; je voulais surtout vous enseigner de mon exemple, et, ne m'attachant qu'au fond vous épargner et m'interdire les broderies trop mondaines.

Mais à mesure que j'ai avancé, mon dessein a fléchi, et je me suis mis à épeler de nouveau