Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/204

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sans désir ; j'allais pourtant continuer mes distinctions prévoyantes : mais, en serrant contre ma poitrine ce bras qui avait voulu se retirer, je sentis qu'il appuyait sur le portefeuille même où était renfermée ma lettre de la veille à madame R. La honte, l'ennui de tous ces discours à demi mensongers et factices me monta subitement au cœur comme une nausée. Nous touchions à une issue du jardin vers le quartier où madame de Couaën avait affaire, et j'inclinais notre marche pour sortir ; mais elle-même me dit que ses courses n'avaient rien de pressant, et qu'elle aimait mieux, si je consentais se promener encore. Je me promis bien en cet instant, de ne pas donner suite à la lettre parjure, et, un peu relevé à mes yeux par ma résolution intérieure, je m'abandonnai plus volontiers à l'action prolongée du doux soleil pénétrant et de ces autres rayons plus rapprochés qui m'arrivaient dans une fraîche haleine. Je rétractai par degrés comme elle le voulut, mes précédentes paroles ; je lui accordai que c'étaient des suppositions fantastiques et presque des jeux comme ceux des patineurs du bassin qui se plaisent à alarmer pour preuve d'adresse. Car, attentifs à ce gai tableau dont nous approchions, les enfants marchaient devant nous en se tenant par la main et ils se retournaient souvent avec des cris et des rires pour nous le faire admirer. Et madame de Couaën, me trouvant docile et radouci à sa voix, répétait d'un air d'heureux triomphe :

« Eh bien donc, à quoi bon tous ces échafaudages que vous entassiez ? vous voyez maintenant qu'il n'en est rien. Vous nous aimez toujours de même ; ou, si vous avez aimé un moment comme il ne faut pas, ce n'est déjà plus. S'il y avait danger d'ailleurs, je vous guérirais. Vous viendrez à Blois comme partout où nous serons. M. de Couaën a en vous une confiance parfaite, et j'en ai une immense. ” Elle ne fit que très peu des courses projetées ce jour-