Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/205

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là. En passant chez madame R., nous ne la trouvâmes pas heureusement, et j'inscrivis le nom de madame de Couaën sans y joindre le mien. Nous voulûmes réserver la visite à mademoiselle de Vacquerie et le reste pour le lendemain afin d'avoir à recommencer la même promenade. - A peine rentré dans ma chambre, je m'empressai de brûler cette lettre à madame R., et je fus allégé et comme absous en la voyant s'anéantir. La facilité avec laquelle l'objet lui-même s'affaiblit en ma pensée pour quelque temps me montra mieux la folie de mon transport, et combien nous nous créons au cerveau de fausses ardeurs par caprice forcé et à coups d'aiguillon.

La promenade du lendemain fut très semblable à la meilleure moitié de la première, et repassa, comme à souhait sur les mêmes traces : blanc soleil, temps vif et gelée franche ; retour aux propos de la veille dans les allées déjà parcourues. Il y eut bien encore, en commençant, quelque débat entre nous sur la manière dont j'avais besoin moi aussi, d'être aimé. Elle m'accordait de m'aimer à l'égal et comme l'aîné de ses enfants. C'était une glorieuse part et qui fermait la bouche à la plainte, en n'apaisant pas le désir. Toutes les fois qu'il s'agissait de la difficulté pour moi de me maintenir dans la nuance permise, et que, sans reproduire le raisonnement de la veille, j'y faisais quelque allusion elle rompait court à plus d'insistance et répliquait d'un air assez mystérieux et confus : “ Oh ! pour cela, j'ai bien réfléchi à vos paroles d'hier ; j'ai songé à un moyen de prévenir le mal, et j'en sais un possible, je le crois bien. ” Et si je lui demandais quel moyen merveilleux elle avait trouvé, elle éludait la réponse. Cette réticence à la fin me piqua ; ce ne fut qu'aux derniers tours de la promenade, que, pressée de questions et d'envie secrète de dire, elle s'y décida non sans beaucoup d'embarras charmant et de prière de ne pas me