Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/209

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passait dans l'anxiété, et qui flottait fréquemment entre la crainte et l'espérance, un certain jour, sous le poids d'un chagrin, étant entré dans une église, s'y prosterna devant un autel en prière, et il se disait tout bas : Oh ! si je savais que je dusse dorénavant persévérer ! Et incontinent il entendit au-dedans de lui l'oracle divin qui répondait : “Si tu savais cela, que voudrais-tu faire ? Fais donc maintenant ce que tu voudrais faire alors et tu seras apaisé. ” Il me parut que j'étais exactement ce quelqu'un à qui s'adressait la règle infaillible ; l'inspiration du bienfaisant conseil se répandit sur toute cette journée et les suivantes : vous verrez si elle durera.

Etant allé dans la matinée chez le marquis, il me reçut avec un mouvement vrai d'affection et une rapidité délicate qui m'adoucit l'embarras : “Mon cher Amaury, dit-il aussitôt, je vous remercie de votre consolation si inépuisable et de votre cordiale confiance. J'avais déjà pensé aussi à quelques inconvénients que vous m'indiquez, et je n'avais pas été convaincu. C'est vous-même surtout que vous devez consulter en définitive. Mais ne vous mettez pas, je vous prie, à tourmenter avec votre pensée inquiète une situation simple, et que tous les bons et loyaux sentiments garantissent. On se crée parfois les inconvénients à force d'y songer et de les craindre ; comme si l'on creusait un beau fruit intact pour s'assurer du dedans. C'est là un défaut dont vous avez à vous garder, mon précoce ami.

N'imitez pas ceux qui se dévorent ! Que si vous voulez savoir, après cela, mon avis et mon espoir, je vous dirai qu'hier je comptais sur votre prochaine et habituelle présence à Blois au milieu de nous, et qu'aujourd'hui je n'y compte pas moins. ” J'étais trop mal à l'aise en pareille matière, trop ému de cette tendresse de l'homme fort, pour y répondre au long ; j'aurais craint d'ailleurs en levant les yeux, de surprendre une rougeur à