Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/215

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réconciliés, qui veillent du dedans, et qui chantent de concert, implorant la délivrance commune !

Si les âges successifs par où l'on passe sont comme des amis dont les premiers tombent en chemin et dont les plus aguerris remplacent et supplantent les plus tendres, il s'ensuit que les âges derniers venus sont seulement de ces amis qu'on rencontre tard, et avec qui on ne lie jamais une si étroite tendresse. La fraîche écorce du cœur s'est refermée et endurcie. Ils ne nous connaissent pas dès l'origine, ils ne rentrent pas jusqu'en nos replis antérieurs, et nous leur rendons leur indifférence au milieu même du commerce actif où nous paraissons être ensemble. Aussi ces âges moyens laissent-ils en nous peu de traces intimement gravées. Pour corriger cette indifférence et ce froid trop naturel aux derniers âges, il faut qu'en mourant chacun des premiers lègue aux suivants ses souvenirs, son flambeau allumé, comme il est dit des générations dans le beau vers du poète ; il faut que chaque âge mort soit enseveli et honoré avec piété par son successeur, ou racheté et expié par lui. De la sorte, les âges se suivent en nous, en n'étant pas étrangers les uns aux autres ni à nous qui les portons ; ils entretiennent et perpétuent l'esprit d'une même vie. Nous arrivons vieux en face d'un âge ami, qui a reçu de ses devanciers la tradition de notre enfance, et qui sait de quoi nous parler longtemps ; nous vivons avec cette vieillesse, d'ordinaire fâcheuse, comme avec un saint vieillard qui nous présenterait chaque jour dans ses bras notre berceau.

Il me semble que le génie des fraîches années vient de recevoir en moi une atteinte, vous disais-je. Mais du moins sa douleur a répondu par de graves et pieuses promesses.

Saura-t-il et saurai-je les tenir ? Si son union avec moi a été trop souvent jusque-là gâtée de mollesse, de honteux désirs, d'abandon sensuel, de ruse égoïste et de raffinement, ce dernier jour a été repentant