Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/214

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plus décidé, un jeune homme. Que si je cherche, après quand s'éteignit la dernière lueur d'adolescence mêlée à l'aurore de ma jeunesse, ce fut, je crois, sur la pâle bruyère, au retour de la Gastine, le soir où mon cœur inconstant répugna aux suites du virginal aveu. Ce fut là que cette adolescence, bonne, aimante, pastorale, et qui ne rêve qu'éternelle fidélité dans une chaumière, me quitta, moi, déjà trop ambitieux et trop subtil pour elle.

Elle me quitta sous la lune, à travers les genêts, comme une sœur blessée qui s'éloigne sans bruit en pleurant, et il y eut peut-être dans ma tristesse délicieuse un sentiment d'adieu vers cet âge indécis qui venait de fuir. A compter de cette heure commença mon entière jeunesse, et je n'eus plus qu'elle pour compagne assidue. Mais, si cet âge a deux génies dont l'un succède à l'autre, trop vite émoussé, il me semble que le premier, le plus frais des deux et le plus brillant (bien que souillé lui-même) est atteint déjà d'un coup funeste, d'un déchirement dont il va languir, et qu'un compagnon moins enchanteur s'essaiera désormais en moi à le remplacer. Bois de Couaën, pente de la Montagne, et vous aussi, allée d'Auteuil, terrasses des Tuileries, table frugale du couvent, récents objets embrassés avec tant d'amour, vous sentirai-je jamais de la même âme que dans ces vives journées ? si je vous revois par la suite et dès demain, sera-ce jamais sous vos couleurs d'hier ?

Ainsi les phases s'accomplissent en nous, ainsi nos âges intérieurs se déroulent silencieusement et se séparent.

Nous sommes au fond comme un lieu rempli des inhumations précédentes, comme une salle de festin funèbre où siègent tous ces fantômes des âges que nous avons vécus.

Et ils se heurtent ensemble, et ils nous troublent en gémissant, ou dorment d'un sommeil agité. Heureux si, à la longue et à force d'expiations pratiquées par nous, ils deviennent de purs esprits