Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/22

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organisation complète de franchir, afin que l'épreuve humaine ait son cours. Lui, par une exception heureuse, depuis des années qu'un simple contre-temps l'avait retenu, il demeurait sans effort à la modestie de ses goûts à ses auteurs de classe, à ses vertus d'écolier, à son plain-chant dont il ne perdait pas l'usage, aux jugements généraux que l'enseignement de ses maîtres lui avait transmis. Nul doute ne lui était jamais venu, nulle passion ne s'était jamais éveillée en cette âme égale où l'on ne pouvait apercevoir d'un peu remuant qu'une chatouilleuse et bien justifiable vanité dès qu'il s'agissait d'un sens de Virgile ou de Cicéron. La Révolution en le confinant quelque temps au fond de notre contrée, m'avait permis de profiter de ses soins : plus tard quand l'aspect des choses parut s'éclaircir, il nous avait quittés pour devenir professeur de rhétorique au collège de la petite ville d'O… De mon côté, tout soumis que j'aimais à être et plein de confiance en ses décisions j'allais plus loin pourtant que l'excellent M. Ploa, et je me risquais quelquefois avec une pointe de fierté à des lectures qu'il se fût interdites. Sur ce chapitre, au reste, il était d'une candeur singulière. N'ayant jamais lu jusqu'alors par je ne sais quel scrupule aidé de paresse, le quatrième chant de l’Énéide, bien que l’Énéide ne sortît guère depuis dix ans de sa poche ni de ses mains, il imagina, pour lire plus commodément ce livre, de me le faire expliquer ; ce dont je me tirai parfaitement. Il me le fit même apprendre et réciter par cœur. Je traduisis de la sorte, avec lui, les odes voluptueuses d'Horace à Pyrrha, à Lydé ; je connus les Tristes d'Ovide, et, comme il s'y rencontre fréquemment certaines expressions latines que M. Ploa rendait en général par privautés, moi, qui ne savais pas la signification de ce mot, je la lui demandai un jour à l'étourdie ; il me fut répondu que j'apprendrais cela plus tard et je me tins coi, rougissant