Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/222

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Pascal a dit quelque chose d'approchant. Ce qui concernait Georges aggravait cette teinte d'affection sombre. On venait de découvrir sa présence à Paris ; toutes les barrières furent aussitôt fermées, et un extraordinaire appareil de police agitait la ville. J'allais peu chez madame R., et à des heures où j'avais chance de ne pas la trouver. Les premiers jours se soutinrent pour moi ainsi dans la précaution, l'intérêt sérieux, l'étude reprise et un commencement de constance.

J'en étais déjà à goûter les prémices de cette fidélité commencée, à entendre du fond de mon ennui, comme dans un bosquet obscur avant l'aube, le murmure d'allégresse de la chasteté renaissante. Mais il arriva bien vite alors ce que j'ai trop de fois éprouvé depuis et ce qui, vers la fin de la lutte, me la rendait si déplorable et si désespérée. Après huit jours et plus, ainsi employés à soigner son cœur, à munir ses yeux, à se garder dans une pureté scrupuleuse, à prier avant de sortir, à choisir les lieux où l'on passe, à ne regarder que devant soi, et à ne pas s'enorgueillir surtout de tant d'efforts, voilà qu'au détour où l'on s'y attendait le moins une apparition connue vous entre dans l'âme et vous renverse net, comme un soldat de plomb qui tombe, comme une carte qu'un enfant renverse d'une chiquenaude dans ses jeux. Oh ! que cette facilité à choir, qui ne diminue pas jusqu'aux dernières limites et tant qu'on n'a point passé le Jourdain sacré, qui est la même dans les voluptueux à tous les degrés de la lutte avant l'absolue conversion,

— que cette fragilité m'a fait comprendre combien il ne suffit pas de vouloir à demi, mais combien il faut vouloir tout à fait, et combien il ne suffit pas de vouloir tout à fait, mais combien il faut encore que ce vouloir, qui est nôtre, soit agréé, béni et voulu de Dieu !

Notre volonté seule ne peut rien, bien que sans elle la Grâce ne descende guère ou ne persiste pas. Le grand Augustin, esclave lui-