Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/221

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mon récit une destinée si étrange d'expiation et de martyre m'a fait reprendre à tous ces détails de conspiration qui nous étaient moins nécessaires.

Jusqu'ici donc c'est du monastère hospitalier que j'aurais pu dater ces feuilles ; je les ai écrites souvent dans la sérénité des matins sur la terrasse qui regarde la mer, ou sur le balustre massif de la fenêtre, au souffle encore embrasé du couchant ; j'en ai crayonné plusieurs, durant le poids du jour, au bout du promenoir formé de platanes, seule allée d'ombrages, quand le reste du jardin n'est qu'aloès et romarins desséchés. Je les ai rassemblées sans art, mais à loisir, trop à loisir, je le crains, et le goût que je sentais naître en allant et s'augmenter à mesure, m'a rappelé le temps où je rêvais de me livrer à écrire, et où je m'en suis abstenu, car je l'aurais trop aimé. Cette complaisance outrée dans un travail si simple va pourtant finir.

Nous nous rembarquons mon ami ; C'est du bord même que je recommence dès à présent ; nous partons cette nuit aux premières vagues montantes. Je continuerai donc au roulis du vaisseau, et peut-être une autre tempête coupera court. Si j'arrive, je veux que ce soit clos avant cette arrivée où tous les flots d'ici doivent mourir. L'intervalle jusque-là est une page blanche que je puis remplir encore sans perdre de vue les cieux ; mais, une fois les grands rivages aperçus, la plume me tombera des mains et je serai tout à l'œuvre nouvelle.

Le départ de mes amis m'avait laissé un vide profond qui ne fit que s'accroître durant les jours suivants. Je me maintins d'abord avec assez d'avantage dans cette ligne d'abstinence et de sacrifice où les dernières scènes m'avaient replacé. La pauvre science, les livres négligés auxquels je revins, m'y aidèrent ; je passais les soirs dans ma chambre : le malheur de beaucoup est de ne pas savoir passer les soirs dans sa chambre,