Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/226

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de politesse, cette appellation de monsieur, comme une voix étrangère, m'attristaient et me rattiraient au réel, et retraçaient à mes yeux les bornes sévères que j'aurais voulu, sinon franchir, du moins ne pas toujours voir. Chaque dernière lettre reçue d'elle ne me quittait pas jusqu'à une prochaine ; je me levais quelquefois au milieu d'un travail ou je m'arrêtais dans la rue pour la déplier et la relire, pour y chercher, sous ces paroles bonnes et qui me disaient de venir, un indice encore plus tendre, pour y reconnaître sous l'inflexible mot, et dans la manière dont il était placé, les nuances que la voix et le regard en parlant, y auraient mises.

Cinq longues semaines s'étaient de la sorte écoulées.

L'affaire politique se poursuivait avec une rigueur formidable. Chaque nuit, vers la fin, je m'attendais à ce que Georges, traqué de toutes parts, viendrait me demander refuge. Je m'éveillais en sursaut, croyant avoir entendu marcher et appeler sous ma fenêtre, et une ou deux fois je descendis ouvrir. Mais il ne vint pas. En ces extrémités plutôt que de compromettre, il aimait mieux recourir à des asiles forcés qu'il obtenait violemment chez des inconnus..

Son arrestation le soir du 9 mars acheva mes craintes.

Paris pourtant ne se rouvrait pas encore ; j'avais promis d'aller à Blois passer la Semaine Sainte, et il n'y avait guère d'apparence que je le pourrais. Il eût été peu sage de me mettre en mouvement et en évidence, tant que la circulation ne serait pas libre ; MM. D... et R. me conseillaient de différer. Je venais donc d'écrire, le samedi d'avant les Rameaux, et sous le coup même de l'assassinat de Vincennes toute ma douleur des obstacles, et la promesse de redoubler de recueillement et de souvenir pendant cette semaine du saint deuil. Dans ma visite de l'après-midi à madame de Cursy, visite que je faisais toujours plus longue