Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/227

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

en ces veines de fidélité, j'avais pris au hasard un livre de sa bibliothèque, un tome des Pensée du P. Bourdaloue, et je l'avais emporté au jardin pour lire, profitant d'un rayon de soleil à travers les arbres encore dépouillés. J'aimais ce petit jardin triste et humide, sur lequel donnait la fenêtre de l'ancienne chambre de madame de Couaën, et je me le figurais, je ne sais pourquoi, semblable à celui de sainte Monique en sa maison d'Ostie, tandis qu'appuyée à la fenêtre, peu de jours avant sa mort, elle entretenait son fils converti de la félicité céleste ?. Tout en marchant le long des buis qui étaient la principale verdure, et dont demain on allait faire des rameaux, tout en rêvant à l'image de l'absente amie, je fus frappé d'un chapitre qui traitait à fond des amitiés, de celles prétendues solides, et de celles prétendues innocentes. A propos des dernières, des amitiés sensibles, qui font une impression si particulière sur le cœur, qui le touchent et qui l'affectionnent sans mesure, je lisais avec étonnement comme en un miroir ouvert devant moi : “ Ce sont mille idées, mille pensées, mille souvenirs, d'une personne dont on a incessamment l'esprit occupé ; mille retours et mille réflexions sur un entretien qu'on a eu avec elle, sur ce qu'on lui a dit et ce qu'elle a répondu, sur quelques mots obligeants de sa part, sur une honnêteté, une marque d'estime qu'on en a reçue ; sur ses bonnes qualités, ses manières engageantes, son humeur agréable, son naturel doux et condescendant, en un mot sur tout ce qui s'offre à une imagination frappée de l'objet qui lui plaît et qui la remplit. Ce sont, en présence de la personne, certaines complaisances de cœur, certaines sensibilités où l'on s'arrête et qui flattent intérieurement, qui excitent, et qui répandent dans l'âme une joie toujours nouvelle ; ce sont dans les conversations des termes de tendresse, des expressions vives et pleines de feu, des