Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/238

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

belles, peu importe que l'on continue les regrets et les pleurs plus ou moins de temps encore, car le charme brillant est à jamais rompu, et il y a d'avance une ombre froide sur tout ce qui pourrait venir ; mieux vaut donc que ce quelque chose qui demande éclat et fraîcheur ne vienne pas. C'était là, ou à peu près, la pensée qu'elle m'exprimait. - “ Oui, vous voulez dire, reprenais-je, qu'il est dans la vie une robe de grâce et d'illusions charmantes qu'on ne revêt qu'une fois ; que les sentiments, qui ont manqué des rayons du dehors dans la saison propice, même quand ils mûriraient plus tard mûrissent mollement et ne se dorent pas ; que les âmes trop longuement baignées dans leurs propres larmes sont comme ces terres imbibées de pluie, et qui restent toujours humides et un peu froides même après le soleil reparu. Vous croyez qu'il n'est pas en elles de buissons altérés ni de gerbes toutes prêtes ; que la foudre, en tombant, n'y allume rien et qu'elles ne deviendront jamais un autel. Ah ! vous dites vrai en partie ; vous dites ce que j'ai senti souvent et ce que j'ai craint de moi !

Mais je me suis dit aussi qu'on n'arrive pas de sitôt à ce degré désespéré ; qu'une ou deux ou trois années de larmes ne sont qu'une rosée dans la jeunesse ; une matinée meilleure essuie tout, une fraîche brise nous répare. On oublie, on s'exhale, on se renouvelle. On a véritablement en soi, songez-y, plusieurs jeunesses. Bien souvent on croit que c'en est fait des belles années et de leurs dons ; on se dépouille, on se couche au cercueil, on se pleure. Puis le rayon venu, on renaît, le cœur fleurit et s'étonne lui-même de ces fleurs faciles et de ces gazons qui recouvrent le sépulcre des douleurs d'hier. Chaque printemps qui reparaît est une jeunesse que nous offre la nature, et par laquelle elle revient tenter notre puissance de jouir et notre capacité pour le bonheur. Y trop résister n'est pas sage. Sur le coteau mystérieux où voltigent des danses inconnues, où luit un astre