Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/252

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sûrs et sans témoins. Nous étions bien libres de longue causerie à la campagne ; sa tante nous gênait peu ; mais, à Paris, nous étions moins à nous. Il lui arrivait souvent de me faire faute au sujet des sorties que nous arrangions ensemble. Le commencement d'ordinaire allait bien, nous nous rencontrions ; mais, entrée seule quelque part pour une visite, au lieu de reprendre ensuite le coin où je l'attendais, elle m'esquivait par un autre.

Etant venus un jour au petit couvent chez madame de Cursy, comme nous passions devant ma chambre, je voulus la lui montrer ; mais elle s'y opposa, en laissant voir un soupçon obstiné et irritant ; madame de Couaën innocente et large de cour, y serait mille fois entrée. En revanche, madame R. semblait pleine de confiance, d'abandon et presque de fragilité, là où nous n'avions qu'une minute rapide. à la traversée d'une chambre dans une autre, au détour d'un bosquet de Clarens, ou sur un seuil où il fallait se séparer. Si je lui reprochais ces contradictions blessantes, elle en convenait, accusant sa nature trop faible et insuffisante pour le bien comme pour le mal. Mes lettres passionnées lui étaient chères ; elle se demandait en les relisant, disait-elle, si elle en était digne ; elle s'avouait fière du moins de les inspirer ; et elle en était fière en effet vis-à-vis d'elle-même, plutôt encore que naïvement comblée et heureuse. Mais son affection avait aussi des accents de bien simple langage. Elle souhaitait presque que je fusse malade, assez pour être au lit, sans danger pourtant : Oh ! comme elle me soignerait alors elle-même de ses mains !

Comme elle me prouverait son dévouement sans contrainte ! Madame R. était bien touchante et pardonnée, quand elle disait ces choses, le front soyeux et tendre, penchée sur ses pâles hortensias.

— “ Où couriez-vous tout à l'heure, me disait-elle un soir que, ne l'ayant pas vue de la journée, j'avais