Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/255

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de mille pointes et de ces ruses qui aiguisent, tiennent en haleine et harcèlent. Dans les bals, elle se plaisait par moments à me donner des craintes de rivalité et des impatiences. Une fois, au mariage d'une de ses parentes où elle m'avait fait inviter, elle s'entoura bruyamment, toute la nuit, de jeunes gens et de cousins de province, jouant la reine de ces lieux. Quoique j'eusse facilité entière pour la visiter ou l'accompagner chaque soir, nous avions imaginé, par quelque réminiscence romanesque, que je serais régulièrement à minuit sous une de ses fenêtres qui donnait dans une rue peu fréquentée et que là, penchée une minute à son petit balcon, elle me jetterait quelque adieu, un geste, un billet au crayon ou le bouquet de son sein. Je ne manquais pas au rendez-vous, et veillais sous cette croisée en sentinelle opiniâtre, par la neige ou la pluie et toutes les lunes de ciel, immobile ou rôdant, objet suspect pour les rares passants qui s'écartaient de mon ombre avec prudence. Le plus souvent donc l'ayant quittée vers onze heures, je la retrouvais là bientôt après. J'avais suivi, durant l'intervalle, les moindres mouvements de lumières dans sa maison et la sortie des visiteurs, et sa demi-heure d'étude solitaire sur la harpe, comme un prélude au lever de l'étoile d'amour ; j'avais saisi des sons même du chant de sa voix, et son ombre, et celle de sa femme de chambre qu'on devinait s'agitant autour d'une chevelure dénouée, et ce coin de rideau entrouvert par où elle s'assurait, un peu avant, de ma présence. Mais, à peine apparue et saluée, et le gage tombé de ses mains, je lui faisais signe de rentrer sans plus de retard à cause du froid de la saison. Sa vitre alors se refermait ; il ne restait à mes yeux que son toit tout blanc de neige ou de rayons, et le tremblement de l'ardoise argentée. d'autres soirs pourtant elle oubliait, je pense, un peu à dessein que j'étais là ; son étude de