Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/256

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

harpe durait bien longtemps, et les sons qui jaillissaient avec plus de prodigalité et d'éclat semblaient d'en haut insulter à mon attente. Il lui arriva même, une ou deux fois que je ne l'avais pas vue de la journée, de ne pas du tout paraître, comme si ce n'avait pas été convenu ; et moi, dans mon acharnement, j'attendais toujours. J'avais comme gagné, à force de marcher le long de ce mur, la stupidité d'un factionnaire qu'on ne relève pas. Mes pieds retombaient imperturbables sur les mêmes traces ; mais je ne savais plus à quelle fin j'étais dans ce lieu. Puis, me le rappelant tout d'un coup, et voyant sa lumière éteinte, la colère, l'indignation contre ces ruses cruelles ou contre un oubli non moins outrageux me bouleversaient ; je rêvais, par ce balcon trop inaccessible, quelque moyen d'invasion prochaine, et m'en revenais à travers tout Paris, la tête agitée de projets entreprenants et d'escalades violentes. Oh ! L'ardeur d'âme noblement exhalée ! ne trouvez-vous pas ? Quel hiver glorieux ce fut, et quel couronnement de ma jeunesse !...

Cependant je n'avais plus aucune excuse auprès de mes amis de Blois pour prolonger à Paris ce séjour sans interruption. Dans une des lettres que le marquis m'écrivait (car depuis quelques mois c'était lui qui écrivait plutôt qu'elle), il disait : “ On craint ici que vous ne nous négligiez un peu, mon cher Amaury : madame de Couaën vous accuse d'être facile aux habitudes nouvelles, et je me demande moi-même si madame R. ou quelque autre accueil aimable ne nous a pas supplantés près de vous. ” En recevant ces mots, j'aurais voulu partir, donner huit jours au moins au passé, à l'amitié veuve, aux regrets et au soutien d'une illusion croulante, à la réparation trop incomplète d'un mausolée sacré. Mais madame R. restait principalement en garde sur ce point : c'était un ressort qui, à peine touché, resserrait en elle toutes les langueurs