Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/263

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e, resserrée et grave, taciturne plutôt que silencieuse, dédaigneuse encore plus que rêveuse, la prunelle bleue et la lèvre un peu haute, annonçait davantage ressembler à son père et sortir de cette souche antique des Couaën, qui avait longtemps creusé, obscure et solitaire, dans son roc, mais obstinée, vivace et forte. Ces deux enfants s'aimaient tendrement, et le jeune Arthur rendait à sa sœur une espèce de culte délicat et des égards même de chevalier et de poète. A Couaën, il lui tressait des couronnes dans les prés, au bord du canal, et se plaisait à l'en parer durant des heures ; elle se laissait faire, assise, immobile et dans le sérieux d'une jeune reine. Une fois, comme on les avait vus, depuis plusieurs jours, s'enfoncer seuls dans une allée du bois, au bout du jardin on eut la curiosité de les suivre. Ils s'étaient fait un petit carré à part, entouré de gazon, et un beau jasmin au milieu ; Arthur avait demandé au jardinier de le lui planter à cette place. A force d'entendre parler d'Irlande et de Kildare à leur mère, ces enfants en étaient pleins, et la jeune sœur questionnait son frère, qui y était né, comme s'il en avait su plus qu'elle. Arthur avait donc imaginé d'appeler Kildare ce lieu-là qu'ils s'étaient choisi comme faisait Andromaque en Epire au souvenir de Pergame, et comme font tous les exilés. Par une aimable idée de métamorphose, digne de la poésie des enfants ou des anges, le beau jasmin du milieu figurait leur aïeule madame O'Neilly, dont madame de Couaën les entretenait sans cesse et qu'elle regrettait devant eux. Chaque jour, ils venaient causer avec le jasmin et chanter à l'entour de lentes mélodies. Dans le bouquet matinal qu'ils offraient à leur mère, Arthur et sa sœur mêlaient un peu de la fleur de ce jasmin, pour qu'il y eût un souvenir, un bonjour confus de leur grand-maman, mais sans que leur mère le sût, de peur de réveiller directement ses regrets d'absence. On découvrit à la fin tout cela. Ne vous semble-t-il pas,