Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/267

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la légère ; celle-ci avait pris racine en elle durant tout son séjour délaissé à Blois, et l'y avait obsédée constamment ; la mort de son fils n'avait fait que confirmer une crainte préexistante.

Elle me conta comment le corps embaumé était parti pour Couaën, sous la conduite du vieux serviteur François, et que le marquis, durant une veillée lamentable, avait tout fait lui-même, qu'il avait tout scruté, tout enseveli, tout cloué de ses mains, sans souffrir témoin ni aide.

Dès ce premier jour, je sentis la gêne de ma situation nouvelle ; l'heure de voir madame R. étant arrivée, il fallut quitter madame de Couaën. Ses droits anciens, sa douleur récente n'allaient pas jusqu'à me retenir une demi-journée entière ; une autre avait l'empire du moment. Madame R. vint le soir embrasser son amie. Cette première visite se passa bien. Madame R. pleura beaucoup, et s'abandonna avec naturel à tout ce qu'inspirait un spectacle si abattu ; mais, les autres fois, ce fut moins simple ; la vanité revint, la rivalité se glissa. J'évitais avec elle toute démonstration trop particulière ; mais d'un geste, d'un clin d'oeil, elle savait assez marquer son ascendant sur moi et dénoter notre intelligence établie. J'allais chaque matin, avant deux heures, au petit couvent ; puis madame de Couaën avait beau me vouloir retenir, je m'échappais et volais à la Chaussée-d'Antin où, saignant encore d'impression graves et affligées, je trouvais souvent un accueil aigri et mille jalousies en éveil. Tous ces petits griefs entraient, s'accumulaient en moi, y brisaient, pour ainsi dire, leurs épines, et, s'il n'en résulta sur le temps aucune grande secousse, ils se retrouvèrent plus tard avec usure. Soit amitié au fond, soit secret désir de surveillance, madame R. vint passer près de madame de Couaën plusieurs des soirées de cette quinzaine, tantôt seule, tantôt accompagnée de sa tante.

Fort