Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/268

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occupé que j'étais en ce mois-là de certaines séances du soir sur le magnétisme animal, je faisais pourtant en sorte de revenir toujours à temps pour reconduire madame R., mais quelquefois à temps seulement, et sans prendre longue part à l'entretien. Madame de Couaën ne perdait rien de ces concordances, et en souffrait.

Cela se voyait surtout au sourire d'adieu qu'elle tâchait de nous faire aussi bienveillant que son triste cœur, à ce sourire qui ne réussissait pas à en être un, et qui me semblait dans cette douce pâleur une ride criante. O vous qui avez trop vieilli par l'âme et souffert, si vous voulez déguiser le plus amer de votre souci, ne riez jamais, ne vous efforcez plus de sourire !

Un soir que nous avions laissé percer, madame R. et moi, nos arrangements pour une sortie projetée, madame de Couaën se trouvant debout avec nous près de la fenêtre par une lune sans nuages, devant une nuit de magnificence qui nous assurait un beau soleil du lendemain, me demanda de la conduire elle-même dans la matinée suivante à la promenade et à quelque boutique. Elle me le demanda comme pour montrer qu'elle n'était pas piquée ni jalouse, et comme une sœur demande à son tour après qu'une autre sœur a obtenu. J'eus un court moment d'hésitation dans ma réponse, tant à cause de madame R. présente, que parce que cela tombait réellement à travers mes heures occupées.

Ce presque imperceptible mouvement fut bien sensible à madame de Couaën ; elle se rétracta aussitôt, s'accusant d'être indiscrète et d'abuser légèrement de moi. Il fallut toutes mes instances pour recouvrir ce premier effet et la résoudre à vouloir encore.

Il y avait un an vers la même époque, dans les mêmes lieux, que nous ne nous étions promenés ensemble ; je me sentais lié, garrotté par d'autres serments ; je m'étais dit de bien mesurer mes paroles. On se crée une ombre