Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/278

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ou moins belles et éclairées de loin à leur cime, mais séparées par des ravins, des marais, des torrents peu guéables, et chacune à une journée et demie de marche des deux autres. Un pénitent voyageur chemine entre elles ; mais il arrive toujours au pied de la tour où il va, après que le soleil est couché et que les portes sont closes. Il repart donc en sueur et haletant vers une des tours opposées ; mais, s'oubliant, hélas !

Quelques heures dans les marécages et les fanges du milieu pour y assoupir sa fatigue, il n'arrive à cette autre tour que le lendemain trop tard encore, après le coucher de l'astre.

Et il repart de nouveau, jusqu'à ce qu'il arrive à la troisième ; mais elle vient de se fermer aussi ; et il recommence toujours. C'est le châtiment, mon ami, de ceux qui ont usé leur jeunesse comme moi, et ne l'ont pas expiée.

Le jour d'après (car il vous faut bien haleter jour par jour sur ma trace), avide de quelque explication et de quelque souffle qui fit mouvement dans mon incertitude, vers une heure, espérant la trouver seule, je me rendis chez madame de Couaën. Une voiture arrêtée à la porte extérieure me contraria tout d'abord ; on ne put me dire le nom de la personne en visite ; j'entrai. Mademoiselle de Liniers était à côté de sa nouvelle amie, sur une chaise basse, son chapeau ôté, et comme après une intimité déjà longue.

Madeleine et Lucy debout à l'autre fenêtre contrastaient doucement avec le groupe maternel, attentives qu'elles étaient à quelque jeu et confondant leurs chevelures.

Pauvres enfants ! puissent-elles avoir ignoré toujours combien il est parfois douloureux et sublime à deux femmes de s'aimer ! Mademoiselle Amélie, plus blanche et, depuis le dernier jour de la Gastine, d'une neige plus affermie à son front que jamais, ne rougit pas en me voyant : elle y était préparée ; - tout entière d'ailleurs à l'impression de madame de Couaën, elle ne recevait rien qu'à l'ombre