Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/279

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de cette figure enfin connue, qu'elle avait l'air de servir et d'adorer. Celle-ci, qui ne savait pas le plus pur et le plus caché du sacrifice, agissait avec la noble Amélie comme par cette divination compatissante qui révèle aussitôt leurs pareilles aux belles âmes éprouvées. Le discours qu'on tenait était simple, peu abondant, facile à prévoir ; une mélodie de sentiments voilés y soupirait. Je parlais peu, j'étais ému, mais non mal à l'aise. Dans cette pose nouvelle où elles m'apparaissaient, il n'y avait point de contradiction ni de déchirement à mes yeux entre leurs deux cœurs. Tout à coup on frappa à la porte de la chambre : madame R. entra. Je compris que quelque chose s'accomplissait en ce moment, se dénouait dans ma vie ; qu'une conjonction d'étoiles s'opérait sur ma tête ; que ce n'était pas vainement, à mon Dieu, qu'à cette heure, en cet endroit réservé, trois êtres qui s'étaient manqués jusque-là, et qui sans doute ne devaient jamais se retrouver ensemble, resserraient leur cercle autour de moi. Quel changement s'introduisit par cette venue de madame R. ; Oh ! ce qu'on se disait continua d'être bien simple et en apparence affectueux. Pour moi, en qui toutes vibrations aboutissaient, il m'était clair que les deux premières âmes de sœurs s'éloignèrent avec un frémissement de colombes blessées, sitôt que la troisième survint ; que cette troisième se sentit à la gêne aussi et tremblante, quoique légèrement agressive ; il me parut que la pieuse union du concert ébauché fit place à une discordance, à un tiraillement pénible, et que nous nous mîmes, tous les quatre, à palpiter et à saigner. Voilà ce que je saisis : pour un autre qui n'eût rien su, pas une différence de visage ou de ton n'eût été sensible. Le marquis entra bientôt ; mademoiselle de Liniers se leva après quelques minutes et sortit. C'en était fait ; quelque chose dans ces destinées un instant assemblées était rompu et tranché dès à