Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/286

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et aux plus impurs des plaisirs, assembler en une liaison choisie assez d'âme et de sens, assez de vice et de délicatesse... ; qu'avais-je obtenu ? Je n'aurais donc jamais en mon humaine possession que des créatures confuses, jamais une femme suffisamment aimante et aimée, une femme qui eût un nom pour moi et qui sût murmurer le mien ! Cette dernière idée était un âpre aiguillon sous lequel je regimbais toujours. Le printemps renaissait alors, et déjà l'air embaumait, déjà s'égayait la terre. Périlleux printemps, que me vouliez-vous en ces années de splendeur, à renaître si souvent et si beaux ?

Comme toutes les organisations sensibles dont la volonté ne se fonde pas dans un ordre supérieur, j'ai longtemps été à la merci des souffles de l'air, des phases mobiles de chaque lune, des nuées passagères (alors même que j'étais renfermé et que je ne les voyais pas), ou des ardeurs du soleil ; encore aujourd'hui la nuance secrète de mon âme en dépend. En ces journées des premières chaleurs, dans ce Paris peuplé d'une jeunesse éblouie et de guerriers de toutes les armes, les femmes, dès le matin, comme les oiseaux sur leurs ailes, étalaient des étoffes aux mille couleurs ; les boulevards et les promenades en étaient émaillés ; et le soir, au jour tombant, dans les rues des faubourgs, les filles du peuple, les femmes des boutiques, assises aux portes, cheveux et bras nus, folâtrant exubérantes et remuées à l'aspect des aigrettes et des casques, semblaient s'apprêter à célébrer quelque fête de la Bonne Déesse ; dans cette vapeur molle qui les revêtait d'un lustre éclatant, toutes étaient belles. Si ces jours duraient, nulle créature ne serait sauvée ; car le monde ne l'est, comme a dit un Saint, que grâce à cette pudeur accordée aux femmes.

De tels spectacles, dont j'allais repaissant mes yeux, ranimaient en moi un sentiment exalté du triomphe physique, de l'action matérielle et militaire, un idéal