Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/285

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Je me retrouvais seul en présence de madame R. Le caractère de mon affection pour elle n'était plus le même qu'avant cette double confrontation ; tout déguisement flatteur avait disparu. Je la voyais pourtant peu changée en effet, redevenue assez paisible et tendre, et m'accueillant du regard sauf de plus fréquents replis de méfiance et de tristesse. Mon dessein formé était de conduire cette liaison avec ménagement jusqu'à ce qu'elle se relâchât peu à peu, évitant seulement de porter un coup trop prompt à une existence déjà si frêle, et instruit par expérience à ne plus briser dans la blessure. Je me préparais donc à être prochainement libre de ce côté ; les deux grands sacrifices que j'avais sous les yeux m'en faisaient un devoir ; j'avais besoin devant Dieu et devant moi-même de ce premier pas vers une réparation.

Mais les projets de terminer à l'amiable et le long d'une pente insensible, en ces espèces d'engagements, sont une perspective finale non moins illusoire que les lueurs du sommet au début. On a beau se tracer une conduite tempérée de compassion et de prudence, il faut en passer par les secousses convulsives. Il n'y a qu'une manière de délier, c'est de rompre. En revoyant madame R. presque chaque jour, mon dessein fléchit bientôt dans le détail. Les sens et la vanité conspirèrent. L'apparence d'amour que je m'étais crue pour elle s'était évanouie ; mais par moments à la voir si proche de moi, fleur affaiblie et à peine odorante, je la désirais encore. Surtout l'amour-propre à demi-voix me disait que c'était avoir dépensé bien des peines et fait sentinelle bien des nuits pour trop peu de réussite. J'avais voulu près d'elle me soustraire à la plus pure des passions