Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/289

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d'alentour. Plus ces destinées sont simples, naturelles, domestiques, plus j'y prends goût, m'y intéresse, et souvent en moi-même m'en émerveille ; plus je m'en attendris devant Dieu, comme à la vue d'une margueritelle des champs.

Et de cette disposition qui n'aurait dû engendrer chez moi qu'un sentiment de compassion ou tout au plus d'éloignement pour cette vie muette et fermée de madame R., il n'y avait alors qu'un pas dans mon esprit à une irritation dure. La défense opiniâtre et graduelle qu'elle opposait aux assauts, en ôtant toute ivresse à l'égarement, ne faisait que m'enhardir aux violences calculées. Si frêle et si brisée qu'on l'eût pu croire, elle avait une grande force de résistance comme de réticence. Ce n'était pas une de ces femmes que surmonte à un certain moment un trouble irrésistible, et sur qui s'abaisse volontiers le nuage des dieux impurs au mont Ida. Sa présence d'esprit, sa vertu, veillaient dans le péril le plus extrême, - oui sa vertu, je dois le dire, vertu moins rare en général à rencontrer que les séducteurs ne s'en vantent, qu'on ne soupçonnerait pas d'abord à voir la légèreté des commencements, à laquelle le monde ne croit guère, et qu'il a souvent calomniée bien avant qu'elle ait succombé en effet. Dans cette lutte misérable au reste, je me désenchantais de plus en plus à chaque effort. J'effeuillais, je déchirais, comme avec des ongles sanglants, cette tige fuyante et rebelle, qui n'a de prix pour le voluptueux que quand elle tremble et s'incline d'elle-méme, toute à la fois, avec sa pluie de fleurs, avec ses touffes mourantes. Je sentais se détruire, se dégrader à l'avance mon criminel plaisir, et cette rage me poussait à des atteintes nouvelles. Femme douce, sensible, courageuse, m'avez-vous pardonné ?

La colère du voluptueux et de l'homme faible a sa forme d'accès, sa malignité toute particulière. La colère n'