Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/290

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

est pas seulement le propre de l'orgueilleux et du puissant, quoique le plus souvent elle naisse d'un orgueil offensé ; et alors elle couve, elle s'assombrit dans l'absence ; elle s'ulcère et creuse sur un fonds cuisant de haine. Mais une grande tendresse d'âme y dispose aussi, ces sortes de natures étant très vives, très chatouilleuses et douloureuses, vulnérables aux moindres traits. La substance de l'âme en ce cas ressemble à une chair trop palpitante et délicate qui se gonfle et rougit sous la piqûre, sitôt que l'ortie l'a touchée.

Cela passe vite, mais cela brûle et crie. Parmi les âmes sensibles, tendres plutôt que douces, beaucoup se rencontrent ainsi très irritables ; j'étais sujet de tout temps à ces colères. Mais, quand les âmes tendres se sont ravalées au plaisir, à un plaisir d'où elles sortent mécontentes et flétries, elles contractent soudain un endurcissement profond compatible avec cette irritabilité, et qui les laisse encore plus accessibles à leur chétive colère. Elles ont à se beaucoup surveiller en ces instants pour ne pas devenir dures et cruelles ; et leur colère alors, si elle s'élève, est aiguë, quinteuse, convulsive, sans dignité, prompte au fait, raffinée en outrages, salissante de fiel, comme les accès d'un être faible et de tous les êtres qui intervertissent brusquement leur nature. Il n'est pas, a dit l'auteur de l'Ecclésiastique, de colère qui surpasse la colère de la femme . En général, il n'en est pas de plus instantanément cruelle et impitoyable que celle des natures tendres.

Madame R. devenait souvent l'occasion et l'objet de ces hideux emportements.

Les détours du cœur sont si bizarres, le mélange des vertus et des défauts est si inextricable, qu'il y a des femmes qui craignent plus de paraître maltraiter un prétendant que de le maltraiter en réalité. Madame R., par moments, était ainsi, presque glorieuse du mal que le monde d'alentour supposait consommé, affichant en public mille familiarités avec moi et des marques du dernier bien,