Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/292

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déçu, d'augmenter mon mal en me déniant le remède ; combien je la haïssais de ce qu'ainsi je souffrais physiquement à ses côtés ; et puis à quelles sortes d'amour, à quelles infamies de plaisirs elle me réduisait ; mais que je saurais l'amener de force à moi, ou m'arracher d'elle et la faire repentir. Je disais tout cela en paroles sèches, sifflantes, articulées, frappant du doigt, comme en mesure, sa plus belle boule favorite d'hortensia, d'où tombait à chaque coup une nuée de parcelles détachées. Elle m'écoutait debout, croisant les bras, pâle, violette et muette, dans un long sarrau gris du matin. Mais, indigné de cet impassible silence, et m'excitant au son de ma colère, je m'approchai d'elle ; j'étendis la main et je l'enfonçai avec fureur dans la chevelure négligée qui s'assemblait derrière sa tête, la tenant ainsi sous ma prise et continuant à sa face ma lente invective. Le mince roseau ne plia pas, il ne fut pas même agité. Elle resta haute, immobile jusqu'au bout, souriant avec mépris à la douleur et à l'injure, comme une prêtresse esclave que ne peut traîner à lui le vainqueur. A la fin, de fatigue et de honte, je retirai ma main ; ses cheveux dénoués l'inondèrent ; l'écaille du peigne, que j'avais brisé sous l'effort, tomba à terre en morceaux. Alors seulement, les yeux levés au ciel, avec une larme sur la joue, et rompant son silence : “Amaury, Amaury, est-il bien possible ? s'écria-t-elle ; est-ce vous qui me traitez ainsi ? ”

— Ces scènes atroces étaient vite suivies, vous le pouvez croire, de soupirs, de prostrations à ses pieds et de tous les appels du pardon. Une rougeur tendre animait légèrement son teint ; sa tête, longtemps raidie, se penchait avec lassitude et mollesse vers les coussins que je lui tendais ; son front s'attiédissait de rosée ; elle aurait eu besoin, on le voyait, de s'appuyer et de croire, et je lui disais avec des regards humides fixés sur les siens : “ L'amour de deux êtres en ce monde n'est-il donc que le privilège de se donner l'un à