Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/291

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tandis que sa vertu y mettait le plus d'obstacle en secret. Puis, en d'autres moments, revenue à une coquetterie plus naturelle et plus décente, elle voulait paraître aux autres insensible et presque indifférente à mon sujet, insinuant que j'étais un homme épris, pour qui elle n'avait rien que de l'amitié, et que je m'en désespérais, mais sans pouvoir m'affranchir.

Cela m'était redit de deux ou trois côtés à la fois. A cette injure, je courais droit chez elle, et, en me hâtant par les rues, il m'échappait tout haut des paroles de blasphème ; j'en étais averti par l'étonnement des passants qui tournaient la tête, comme aux propos d'un insensé.

Mon ami, tant que nous n'aurons pas pour le bien ces mêmes élancements de cœur et cette même vélocité de pieds que nous avions dans le mal, tant qu'à la première annonce d'un frère inconnu souffrant, d'une affliction à visiter, d'une misère à adoucir, nous ne courrons pas ainsi par les rues, murmurant, chemin faisant, des projets d'amour, laissant déborder des paroles de miséricorde, de manière que les passants se retournent et nous jugent insensés, nous ne serons pas des hommes selon la sublime folie de la Croix, des convertis selon le Christ de Dieu.

Un matin, étant arrivé brusquement chez elle, plus en train de vengeance, j'imagine, ou simplement le cerveau plus calciné par le soleil, peu à peu, après quelques riants préludes, j'entamai mes griefs en propos saccadés, scintillants, éclats suspects de cette gaieté louche qui fait peine à ceux qui nous aiment. Mais bientôt je passai outre, et, comme elle redoublait de défense et de réserve, l'égoisme brutal ne se contint plus. A quelque réponse incrédule qu'elle me fit, j'osai lui déclarer crûment pourquoi et dans quel but je l'avais aimée, quel avait été mon projet sur elle, mon espoir ; que je lui en voulais mortellement de l'avoir