Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/297

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La colère, a-t-on dit, est comme une meule rapide de moulin qui broie en un instant tout le bon froment de notre âme. Au sortir de ces scènes de violence avec madame R., m'en revenant seul, plus broyé dans mon cerveau que si une roue pesante y avait passé, le cœur noyé de honte, j'allais, je me livrais à tous les étourdissements qui pouvaient déplacer la douleur et substituer un nouveau remords au premier. Ainsi, par un enchaînement naturel en ce désordre, la colère me renvoyait tout vulnérable aux voluptés, lesquelles, m'endurcissant le cœur, y augmentaient un sourd levain de colère. On a dit que les dissolus sont compatissants, que ceux qui sont portés à l'incontinence paraissent d'ordinaire chatouilleux et fort tendres à pleurer, mais que les âmes qui travaillent à demeurer chastes n'ont pas une si grande tendresse. Cela ne contredit nullement, mon ami, ce que je vous dénonce de l'endurcissement et de la facilité de violence qui suit les plaisirs. Saint Augustin compare ces fruits étranges d'une tige amollie aux épines des buissons, dont les racines sont douces. Saint Paul, comme l'a remarqué Bossuet, range sur la même ligne et tout à côté les hommes sans bienveillance, sans chasteté, les cruels et les voluptueux. Je ne parle pas ici des femmes pécheresses et des samaritaines qui gardent plus souvent à part des fontaines secrètes de tendresse et de repentir. La sagesse païenne, exprimant la même liaison de famille entre les vices en apparence contraires, s'écrie par la bouche de son Marc Aurèle : “ De quelles voluptés les brigands, les parricides et les tyrans ne firent-ils pas l'essai ! ” C'est qu'en effet il n'y a jamais dans le voluptueux qu'un semblant de compassion, une surface de larmes. Ses yeux se