Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/300

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terne prunelle ne voyait dans cette légion de splendeurs que des falots sans nombre, des lanternes sépulcrales sur une voûte de pierre.

Rendu pourtant au sentiment de moi-même par l'excès de mon néant, je méditais quelque grande réforme, une fuite, une retraite loin de cette cité de péril. J'étais tenté de m'aller jeter aux pieds d'un prêtre pour qu'il me tirât de mon abaissement. Je sentais que le frein qu'il m'eût fallu, je ne pouvais me l'attacher moi-même. Mais, en y songeant bien je vois qu'alors il y avait de la honte à mes yeux de ma propre dégradation plus encore que du remords devant Dieu. Car, au lieu d'aller droit à lui dans cet état humilié, et tout ruisselant de cette sueur qu'il aurait parfumée peut-être d'une seule goutte de sa grâce, je me disais : Attendons que ma jeunesse soit revenue, que mon front soit essuyé, qu'un peu d'éclat y soit refleuri, pour avoir quelque chose à offrir à ce Dieu et à lui sacrifier. Et dès qu'un peu de cette fleur de jeunesse me semblait reparue, je ne la lui portais pas.

Au plus obscur de la mêlée intérieure, trois êtres distincts se détachaient toujours. Rentré chez moi, près de mon poêle bizarrement construit en autel, tournant le dos à ma chandelle oubliée, le front collé au marbre, je restais des heures avant de me coucher, dans un état de demi-veille, à contempler tout un torrent de pensées sorti de moi-même, et dont le flot monotone rongeait de fatigue mes yeux à demi fermés. Par degrés les trois êtres mystérieux m'apparaissaient alors dans ma nuit, et voici sous quelle forme la plus familière cette vision se dessinait :

— J'étais seul, par une lueur crépusculaire, seul dans une espèce de lande déserte, dans ce carrefour de forêt que je vous ai dit. Le carrefour peu à peu devenait une bruyère connue, réelle, ou dont j'avais du moins une vague réminiscence, la bruyère de Couaën ou de la Gastine. Trois