Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/31

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paupières, et il n'y avait que la petite Guémio qui sût rompre cet embarras par quelque innocente et naïve gentillesse.

Ne vous étonnez pas mon ami, de m'entrevoir déjà sous un jour si différent de ce que mon âge et ma condition actuelle autorisent à supposer. J'ai subi la loi commune. A moins d'avoir été soustrait tout à fait au monde, d'avoir passé sans intervalle de la première retraite studieuse de l'enfance aux engagements successifs et aux redoutables degrés du ministère, à moins d'avoir été élevé, édifié, consacré dans la même enceinte et de n'avoir connu jamais pour extrêmes plaisirs, après l'allégresse divine de l'autel, que la partie de paume deux fois le jour et les longues promenades du mercredi ; hors de là, je ne conçois guère que des cas de fragilité qui, presque tous, par leur marche et leur début, se ressemblent. Il est difficile à une organisation sensible, dans sa plus courte entrevue avec le monde, de n'en pas recevoir de tendres empreintes, de ne pas rendre aux objets certains témoignages. Les yeux une fois dirigés vers ce genre d'attrait, le reste suit ; l'éveil est donné ; le cœur s'engage en se flattant de rester libre. C'est bientôt une blessure qui s'irrite, qui triomphe, ou qu'on ne guérit qu'en la traitant par d'autres blessures : on se trouve ainsi jeté loin de la douceur légère et de l'insouciance des commencements.

Mademoiselle de Liniers n'était pas une de ces beautés dont la simple apparition confond les sens et enlève, bien que ce fût réellement une beauté. Noble de maintien, régulière de traits, unie et pure de ton, elle apportait dans la société de ses grands-parents et dans ses soins auprès de la petite Madeleine, une soumission parfaitement douce de toute sa personne, et la sensibilité passionnée, l'enthousiasme dont elle était pourvue, avait de bonne heure appris à obéir en elle à une sévère loi. J'appréciais ces mérites intérieurs et le charme