Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/311

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de mon oubli. Je suivais mon sentier, tout en lisant le long des buis de son étroit jardin, comme Salomon enfant s'étudiant à la sagesse parmi les lys magnifiques des vallées. Si elle écrivait à Blois, je la priais de rendre témoignage à mon sujet, d'annoncer que je simplifiais ma vie. L'idée qu'elle le faisait était déjà une récompense. Vous ne me reprochiez pas ce mouvement de joie insensible qui se sanctifiait à votre crainte, à mon Dieu !

Mais je n'ai pas dit encore les bises et les grêles qui m'assaillaient avant d'en venir là, ou qui me frappaient au plus beau de mon espérance. On ne pacifie pas d'un coup ce qu'on a si longtemps déchaîné. Il y avait des jours pour moi sans liaison avec ce qui précédait, et qui remettaient en question tout l'avenir, de ces jours mauvais dès le matin, et qui font croire fermement au mal et au Tentateur. J'ai rarement pris les choses, mon ami, par le côté lugubre, par l'aspect de l'Enfer et de Satan, par les grincements, les rages et les flammes : c'est plutôt le bien, l'amour, l'attraction croissante vers le Père des êtres, le tremblement modeste des Elus, la tristesse à demi consolée de la pénitence, c'est cela surtout que j'aime me proposer comme image et que je voudrais imprimer au monde. Mais pourtant le mal n'est pas chassé de nos os ; l'antique corruption nous infecte encore, et si nous la croyons vaincue, elle nous fait ressouvenir d'elle. On s'est couché dans la prière avec le soleil ; on a vécu, durant des semaines, d'un miel et d'un froment à souhait préparés ; on a goûté ces états délicieux de l'esprit que procurent les demi-journées de jeûne ; - et voilà qu'on se réveille en gaieté folle, en soif ardente, proférant comme spontanément des mots blasphématoires, impies. Entre les nombreux démons, les anciens Pères en distinguent un qu'ils appellent l'avant-coureur, parce qu'il accourt dans un rayon tenter les âmes à peine éveillées, et qu'il descend