Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/314

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ans, à qui l'on disait qu'elle gâtait ses dents à force de sucreries, fit cette réponse : “ Oh ! ces dents-là tombent, je me corrigerai quand j'aurai des dents neuves. ” Nous sommes tous plus ou moins comme cet enfant ; au moindre échec à la première chute, nous poussons à bout notre défaite ; nous attendons des jours neufs, nous nous fixons de solennels délais avant de nous remettre : - Pâques, - Noël, - la semaine prochaine. Nous passons bail avec nos vices, et renouvelons sans cesse les termes, par égard pour l'hôte impur. Nous faisons comme l'écolier en désordre, qui salit d'autant plus le cahier qu'il achève, qu'il se promet de mieux remplir le cahier suivant.

Mais le Tentateur ne descendait pas toujours glorieux ou furieux, emportant mon âme sur le char du soleil. la roulant dans l'arène brûlante ; il se glissait aussi le long des traces plus réservées, dans le fond de cette vallée de la Bièvre que je remontais un livre à la main, ou par-delà Vanves, doux, silencieux, sous le nuage de mes rêveries. Sachons reconnaître et craindre les moindres nuages.

Il y avait d'autres jours où, sans préambule, sans nuage et sans ardeur, il me surprenait comme un voleur en embuscade, comme l'ennemi sauvage, couché à terre, qu'on prendrait de loin pour une broussaille, et qui se relève inopinément.

Il y avait des jours encore où, s'emparant avec adresse de ma joie ingénue, qui naissait d'une conscience meilleure, il me dissipait insensiblement et m'envoyait, une touffe de violettes à la main, jouer et m'égayer à travers les périls, comme dans la rosée, et regarder nonchalamment ou vivement chaque chose, comme d'un balcon ; mais il me laissait rentrer sain et sauf, de manière que, la fois suivante, je me crusse invulnérable.

Quelquefois, il se couvrait du manteau du bon Berger,