Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/315

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et me conseillait, dès le matin, des courses d'amitié ou d'aumône. “ Ce démon particulier, dit quelque part un des Pères dans Cassien, nous suggère d'honnêtes et indispensables visites à des frères, à des malades voisins ou éloignés.

Pour nous tirer dehors, il sait nous indiquer de pieux devoirs à remplir ; qu'il faut cultiver davantage ses proches ; que cette femme dévote, sans famille, sans appui, a besoin d'être visitée, et réclame nos soins ; que c'est une œuvre sainte de lui procurer ce qu'elle n'attend de personne au monde, si ce n'est de nous ; que cela vaut mieux que de rester inutile et sans profit pour autrui dans sa cellule. ” Et de même il me suggérait, dès le matin, des visites de pauvres ou de personnes respectables, par-delà des quartiers distrayants qu'il me fallait côtoyer, Car, dès ces temps-là, mon ami, je tâchais surtout de me guérir de l'égoïsme des sens par le spectacle des misères vivantes, sachant que rien n'est plus opposé au génie de la volupté que l'esprit de l'aumône. Mais combien de fois, au plus fort des meilleures résolutions, jurant d'épargner jusqu'au moindre denier pour la bonne œuvre Samaritaine, et m'en revenant de quelque visite, les yeux encore humides de larmes et dans le murmure du nom en mémoire duquel je voulais édifier ma vie, combien de fois il suffisait d'un simple hasard pour tout renverser ! Et je retombais du degré trois fois saint de serviteur des pauvres, de ce parvis d'albâtre et de porphyre où Jésus lave leurs pieds, dans l'ignominie des plaisirs. Nous ne sommes rien sans vous, à mon Dieu ! La charité, sans le canal régulier de la piété, est comme une fontaine dans les sables, qui vite y tarit.

Et pourtant quelles émotions comparables à celles de la pure charité, une fois qu'on en a ressenti la fraîcheur, et contre quelles autres les devrait-on échanger ? Voici une de ces joies naïves que l'abbé Carron avait