Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/316

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racontées à l'ecclésiastique, une des joies qui faisaient époque dans sa vie, et qui, par transmission, ont fait époque dans la mienne. Je m'en souviens toujours, d'abord quand je veux me figurer quelque chose de la félicité empressée, légère, toute désintéressée, des Anges. Pendant les premiers temps qu'il était vicaire à Rennes, M. Carron fut appelé dans une famille tombée par degrés d'une ancienne opulence au plus bas de la détresse. Les ressources dont il pouvait disposer étaient modiques, insuffisantes ; ses relations dans la paroisse étaient encore très resserrées. En s'en revenant, il songeait au moyen d'appeler à l'aide quelque autre bienfaiteur plus efficace. C'était un jour de Vendredi Saint : il avait entendu parler, la veille, d'une personne étrangère, admirablement bienfaisante, d'un Anglais protestant, établi depuis peu dans la ville. Il résolut de lui écrire, et, à peine rentré, il le fit, marquant les principales circonstances de la détresse de cette famille, invoquant la solennité d'une semaine si sacrée à tous les chrétiens, et sans d'ailleurs se nommer. Quelques jours après, étant retourné vers la famille, il s'informa si personne n'était venu dans l'intervalle ; on lui répondit que non. Il continua d'y venir de temps à autre, et crut que cette lettre par lui écrite n'avait eu aucun effet. Il en souffrait un peu néanmoins, et en tirait tout bas quelque réflexion assez chagrine sur le caractère incomplet de cette bienfaisance des hérétiques. Mais, environ un an après, un jour, il entendit par hasard dans cette famille, prononcer un nom nouveau, et, s'informant de quelle connaissance il s'agissait, remontant de question en question, il vint à comprendre que c'était son riche étranger qui avait fait raison à l'appel, et qui l'avait fait à l'instant même, et dès le jour de Pâques, ayant reçu sa lettre la veille. Mais les pauvres gens n'avaient osé avouer alors ce surcroît de secours à l'abbé Carron, craignant que peut-être cela ne le ralentît