Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/318

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celle d'Alipe, qui eût laissé régner mon esprit et mon cœur, je me repentais de moi ; je me trouvais moindre en face de l'univers, irrité, humilié de toute cette poussière des êtres qui volait dans les nuages, et que mon énergie première se serait crue suffisante à enflammer. Il y avait des places sur ma tête, où les cheveux maigris ne repoussaient guère ; il y avait dans mon cœur des vides où séchaient, comme l'herbe morte, les naturels désirs. Je redemandais la fumée et l'obscurcissement intérieur avec l'étincelle inextinguible. J'aurais arraché aux dieux païens et aux fabuleux amants leur breuvage immortel.

Et puis, un matin, un soir quelquefois, tout se remettait subitement au bien, de même que tout s'était bouleversé sans cause certaine. Le lys des vertus relevait sa tige, le miel savoureux et calmant distillait sa douceur qu'on ne peut décrire. Après une quinzaine heureuse, quelle lucidité ! quelle paix ! quelle facilité de vaincre ! A la moindre pensée suspecte, mes sens eux-mêmes frissonnaient de crainte ; signe excellent, une frayeur profonde traversait ma chair. Je croyais en ces moments à la Grâce d'en haut, comme précédemment j'avais cru au mal et au Tentateur.



J'en suis aux mers calmes ; j'approche du grand rivage. Encore un peu d'efforts, ô mon âme ! - Encore un peu d'indulgence, à mon ami ! nous échappons aux navigations obscures.

Mes études et mes lectures se faisaient chrétiennes de plus en plus. Mais ce n'était pas une étude dogmatique, une démonstration logique ou historique que je me proposais ; je n'en sentais pas principalement le besoin. La persuasion au Christianisme était innée en moi et comme le suc