Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/319

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

du premier allaitement. J'y avais été infidèle avec révolte dans mon juvénile accès philosophique ; mais ensuite, ç'avait été ma vie, bien plutôt que mon esprit et mon cœur, qui en était restée éloignée : toutes les fois que je revenais à bien vivre, je redevenais spontanément chrétien. Si je voulais raisonner sur quelque haute question d'origine ou de fin, et d'humaine destinée, c'était dans cet ordre d'idées que je me plaçais naturellement, c'était cet air de la Montagne Sainte que je respirais, comme l'air natal. Du moment que les choses invisibles, la prière, l'existence et l'intervention de Dieu, reprenaient un sens pour moi et me donnaient signe d'elles-mêmes, du moment que ce n'étaient pas de pures chimères d'imagination dans un univers de chaos, le Christianisme dès lors me reparaissait vrai invinciblement.

Il est, en effet, le seul côté visible et consacré par lequel on puisse embrasser ces choses, y adhérer d'une foi permanente, se mettre en rapport régulier avec elles, et rendre hommage en chaque pas à leur autorité incompréhensible ; il est l'humain support de toute communication divine. Aimer, prier pour ceux qu'on aime, faire le bien sur terre en vue des absents regrettés, en vue des mânes chéris et de leur satisfaction ailleurs, dire un plus ardent De profundis pour ceux qu'on a un instant haïs, vivre en chaque chose selon l'esprit filial et fraternel, avoir aussi la prompte indignation contre le mal, mais sans l'aigreur du péché, croire à la grâce d'en haut et à la liberté en nous, voilà tout l'intime Christianisme. Dans mes lectures, les questions théologiques, quand elles se présentaient, m'inquiétaient peu ; je m'appliquais pourtant à les saisir et à les étudier : mais les contradictions apparentes, les excès des opinions humaines mêlées à la pure doctrine, ne me troublaient pas. Il se faisait une séparation naturelle dans mon esprit, un départ de ce qui n'était pas essentiel ; la rouille de l'écorce se déposait d'