Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/321

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de la quantité de Christianisme qui y entre.

Examinez bien, en effet, et ce qui semble peut-être d'une vérité vague, dans l'énoncé général, deviendra pénétrant dans le détail, si vous y insistez de près. Cette vérification que j'aimais à faire sur les grands hommes du passé, ou plus directement encore sur les hommes mes contemporains, et sur ceux que j'avais familièrement observés, équivalait pour moi à de bien laborieuses démonstrations historiques de la vérité chrétienne. Je prenais une à une les passions, les facultés, les vertus ; toujours ce qui en était le meilleur emploi et la perfection me ramenait droit à la parole de l'Apôtre. Je prenais, je prends encore quelquefois un à un dans ma pensée les hommes à moi connus, et, en tâchant d'éviter de mon mieux la témérité ou la subtilité de jugement, je me dis :

Elie est une noble nature, nature tendre sans mollesse, ouverte et facile d'intelligence, élevée sans effort, égale pour le moins à toutes les situations, aumônières et prodigue avec grâce. Son abord enchante comme s'il était de la race des rois. S'il parle, il est disert ; s'il écrit, sa plume est d'or. Il est chrétien et pratique docilement. Et pourtant à la longue, près de lui, vous sentez du froid une glissante surface qui s'interpose entre son âme et vous, des jugements légers, indifférents, contradictoires, sur des matières où il s'agit de droit inviolable et d'équité flagrante pour le grand nombre. C'est qu'il a son habileté propre, son plan de prudence insinuante. Il ne s'indigne jamais, il se ménage dans des buts lointains et secondaires ; ou peut-être n'est-ce chez lui qu'une habitude ancienne, due à son long séjour chez les aimables Pères de Turin. Il est chrétien, ai-je dit ; mais toutes les fois que dans l'accord de sa belle nature vous tirez un son moins juste et plus sourd c'est que vous touchez un point médiocrement chrétien.

Hervé est chrétien aussi ; il a mille vertus ; à l'âge où