Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/322

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le cœur commence à se ralentir, il a gardé la chaleur d'âme et l'abandon de l'adolescence. Lui qu'on serait prêt à révérer, il tombe le premier dans vos bras, il sollicite aux amitiés fraternelles. Mais d'où vient qu'en le connaissant mieux, en l'aimant de plus en plus, pourtant quelque chose de lui vous trouble, et par moments obscurcit ce bel ensemble, comme un vent opiniâtre qui écorche la lèvre au sein d'un paysage verdoyant ? C'est que son impétuosité dans ses idées est extrême ; il s'y précipite avec une ardeur qu'on admire d'abord mais qui lasse bientôt, qui brûle et altère. C'est son seul défaut ; le chrétien parfait n'y tomberait point. Le chrétien parfait est plus calme que cela, surtout dans les produits de la pensée ; il se défie de l'efficace de ses propres conceptions et de sa découverte d'hier soir touchant la régénération des hommes ; il est plus rassuré sur les voies indépendantes et perpétuelles de la Providence ; il réserve presque toute cette fièvre d'inquiétude pour l'œuvre charitable de chaque journée.

Et cet autre, ce Maurice, également si bon, si pauvre en tout temps, si désintéressé, il croit à une idée supérieure à lui, il s'y dévoue comme à une chose autre que lui, il vous convie tout d'abord à vous y dévouer, et il oublie que c'est lui qui a engendré cette idée et qui chaque matin la défait, la refait et la répare. S'il vivait un peu moins en cette plénitude confuse et tourbillonnante qui vous repousse, que serait-il sinon plus éveillé sur lui-même, sinon plus chrétien ?

Et s'ils songeaient plus à l'être, y aurait-il à noter chez l'un, avec sa dignité véritable de caractère, cette raideur vaniteuse et infatuée ; chez l'autre, avec ses qualités intègres ou aimables, cette mesquinerie un peu égoïste qui émiette et pointille, qui retranche à la moindre action ; chez cet autre, avec un fonds généreux, ce propos déshonorant, ce qui fait fuir toute divine pensée ? A chaque défaut gros ou petit, mais réel, qu'un ami vous laisse