Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/33

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et rarement, sans quoi cette vie d'abandon paisible ne se fût pas tant prolongée, et l'excitation du dehors en eût vite tiré ce qu'elle recélait de passion future.

Un jour, à une partie de chasse, - à une Saint-Hubert, il y avait eu, au rond-point de la forêt voisine, rendez-vous d'une quinzaine de personnes des environs : quelques femmes étaient venues à cheval en amazones, parmi lesquelles mademoiselle Amélie. Le mouvement de la course, la fraîcheur matinale de l'air et du ciel, l'entrain d'une conversation à chaque instant reprise et variée, l'amour-propre qui s'éveille si gaiement en ces circonstances, une pointe de rivalité enfin comme il est inévitable dans une réunion d'hommes et de jeunes femmes tout m'avait enivré, enhardi, au point que, saisissant un moment où la compagnie au galop s'était un peu brisée, j'essayai, sous un prétexte assez gauche de soudaine jalousie, d'entamer vivement ce qui jusqu'alors était demeuré entre nous inexpliqué et obscur. Mais elle, au lieu de m'écouter avec sérieux suivant sa coutume, et de me faire honte s'il le fallait, excitée aussi de son côté par l'humeur folâtre de ce jour, dès qu'elle vit où j'en voulais venir, lança brusquement son cheval en avant du mien et m'échappa ; et à chaque fois que je tentai de renouer, le cheval partait toujours avant le troisième mot de la phrase ; les vents emportaient le reste. Cette espièglerie, prolongée jusqu'aux éclats, avait fini par m'irriter. De retour vers le soir à la Gastine, où une portion de la chasse nous accompagna, je jouai la supériorité, l'indifférence, et parus fort occupé de causer avec la jeune dame du Breuil, à laquelle je m'étais rattaché. Mademoiselle Amélie, sérieuse et presque inquiète alors passait et repassait dans le petit salon où nous nous tenions à l'écart ; mais moi, laissant errer comme par distraction mes doigts sur le clavecin près duquel j'étais debout, je couvrais ainsi ma conversation futile, de