Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/338

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Une circonstance particulière aggrava cet effet et compliqua mon émotion d'un intérêt plus personnel encore.

Parmi les décrets du Sénat en ces conjonctures, il y en eut un qui appelait sous les armes les conscrits des cinq précédentes années, et bien que je fusse très certain, en ne me déclarant pas, de n'être point recherché, j'aurais pu à la rigueur être compris dans la première de ces cinq classes.

L'idée que je n'échappais qu'en me dérobant me faisait monter le rouge au front, et, sollicitant ma piété même à l'appui de mon vœu secret, je me demandais si ce n'était pas un strict devoir d'aller m'offrir.

A peine la campagne entamée et la nouvelle des premiers succès survenant, ce fut pis, et mon trouble s'augmenta dans l'anxiété universelle. Je ne priais plus qu'à de rares intervalles. Un flot extraordinaire de cet âge de jeunesse qui se suffit et subvient à tout me rejetait machinalement hors de la foi. Je retombai dans le chaos et le conflit purement humain, ne rêvant qu'ivresse et gloire, émulation brûlante, m'agiter avec tous, galoper sous les boulets, et vite mourir. Chaque bruit inaccoutumé, le matin, me semblait le canon des Invalides déjà en fête de quelque nouvelle victoire. Ce n'était plus sous des prétextes de visites amicales ou d'aumône, c'était avec ces murmures belliqueux et dans l'espoir des bulletins que le démon du milieu du jour me rentraînait aisément par-delà le fleuve. Dernière forme de mon délire ! Matinées d'attente oisive, et aussi de prestige ineffaçable ! On dirait que quelque terne brouillard a passé depuis dans le ciel comme sur les âmes ; il y avait plus de soleil alors qu'aujourd'hui ! Un jour, Ulm était déjà rendu, et l'on venait de présenter en pompe au Sénat une forêt de drapeaux autrichiens, - me promenant près du Luxembourg, je rencontrai un officier de ma connaissance, le capitaine de cavalerie Remi,