Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/339

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attaché à l'état-major du maréchal Berthier ; il faisait partie de la députation qui avait apporté ces drapeaux conquis. Blessé assez légèrement au bras dans un des derniers engagements devant Ulm on l'avait désigné pour ce voyage d'honneur. Il me parla avec feu de la merveilleuse campagne et de la célérité magique d'un si entier triomphe. Il brûlait de repartir et devait, dès le surlendemain, se relancer vers Strasbourg, quoique sa blessure se fût fort irritée durant la route ; mais il comptait bien être là-bas à temps, disait-il, pour la future grande bataille que l'arrivée des Russes allait décider. Je le quittai en lui souhaitant chance de héros, et, à peine l'avais-je perdu de vue, que je regrettai de ne m'être pas ouvert franchement à lui, de ne pas lui avoir dit mes remords d'oisiveté et mes désirs de guerre : " Qui sait si un mot confiant, pensais-je, n'eût pas aplani toutes ces montagnes sous lesquelles je m'ensevelis à plaisir ; si l'aide de camp de Berthier n'eût pas pu faire que cette grande bataille prochaine devînt un des chemins naturels de ma vie, ou du moins un immortel tombeau ? ” Et cette pensée creusa en moi, selon mon habitude, durant tous les jours suivants ; mais je crus le capitaine parti et ne cherchai pas à le retrouver.

Le capitaine Remi était une nature qui m'allait de prime abord bien que je n'eusse fait que l'entrevoir de temps en temps. Je l'avais rencontré pour la première fois chez le général Clarke, lorsqu'à mon arrivée à Paris je courais solliciter appui dans l'affaire de M. de Couaën. Il avait depuis quitté ce général et passé sous le maréchal Berthier ; je l'avais revu de loin en loin aux promenades ou dans les bals, et toujours nous causions ensemble avec assez de penchant et d'intérêt. Il était beau, franc, sensé, animé d'un certain goût sérieux d'instruction, et portant dans les diverses matières cet aplomb précoce et simple d'un homme qui