Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/341

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donc aussi pour moi, fis-je en éclatant ; votre espoir me rend la vie. Dites, puis-je arriver, assister avec vous à cette bataille d'Empereurs où vous allez courir ? ” Et je lui expliquai mes desseins si souvent enfouis et m'étouffant.

Dans l'espérance vacillante qu'il se voulait ménager à lui-même, il fut indulgent à mon idée, et prétendit que rien n'était plus exécutable : " Je reçois votre engagement, me dit-il : vous savez manier un cheval, je vous tiendrai d'abord avec moi. Vous entrerez après, si cela vous sourit, dans le corps de Vélites qu'on vient de former... Oui, cette nuit même, nous partons, nous allons en poste jusqu'à Strasbourg, et de là à franc étrier jusqu'à l'armée : six jours en tout feront l'affaire. ” Il cherchait un appui contre sa propre hésitation en me rassurant. De telles paroles m'enlevèrent. Je rentrai chez moi, j'y pris des armes et l'épée même qu'avait touchée Georges. Je passai chez madame de Cursy, la prévenant qu'elle n'eût pas à s'inquiéter de mon absence, et que je serais toute cette dernière quinzaine d'avant l'hiver à la campagne : elle ne me questionnait jamais. - Dès le matin, nous roulions, mon nouveau compagnon et moi, vers Strasbourg.

Il était, je vous l'ai dit, homme de droit sens, de coup d'oeil ferme et militaire, mais avec des idées plus libres et un horizon plus ouvert que la plupart. A propos de cette éternelle grande bataille que nous poursuivions, que nous nommions presque d'avance, que nous ralentissions, que nous agitions en mille manières : “ Il faut bien que j'en sois, me disait-il ; d'abord ce sera une illustre et belle bataille, et il y va pour moi de l'honneur. Nous en aurons bien assez d'autres avant peu d'années, je le sais ; mais celle-ci est de justice encore, de nécessité et de défense ; plus tard, je le crains, ce sera plutôt l'ambition d'un homme. Je veux donc en être, surtout de celle-ci. ”

— Il ajouta