Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/340

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a fait des guerres intelligentes. Il n'avait guère que trente ans au plus, étant de la levée militaire de 96. Je lui sentais un fonds d'opinions politiques et patriotiques qui plaisent sous l'habit du soldat ; excellent officier et amoureux de son arme, il ne donnait pas trop en aveugle dans l'Empire. Bref, un attrait réciproque nous avait assez liés.

Deux ou trois semaines se passèrent encore, et je n'avais point réussi à me renfoncer bien avant dans les sentiers des pacifiques royaumes. Un matin, étant sorti, pour me distraire, à cheval, par la barrière de Fontainebleau, je croisai à quelques lieues de là, sur la grand-route, la première colonne des prisonniers autrichiens qu'on avait ainsi dirigés de la frontière vers l'intérieur. Cet aspect des vaincus me remit à mes blessures et à ma défaite, moi vaincu aussi et à qui l'épée était tombée des mains sans que j'eusse pu combattre. On commençait à être dans l'attente expresse de quelque grand événement, car l'armée russe avait dû se joindre aux débris de l'armée autrichienne. Je retournai inquiet à la ville, et me rendis bientôt à pied dans le quartier des Palais. Mais, au sortir de la terrasse des Feuillants, vers la place Vendôme, je rencontrai pâle, défait, et comme relevant de maladie, le capitaine Remi lui-même, et, l'abordant avec surprise : “Quoi ! ici encore ? ” m'écriai-je. - Et il me raconta comment, le lendemain de notre précédente rencontre, l'hémorragie et la fièvre l'avaient pris, et que cette fièvre opiniâtre ne l'avait quitté qu'en l'épuisant ; mais enfin il n'avait plus qu'un peu de force à recouvrer. “ Je pars demain, cette nuit, ajouta-t-il avec un regard brillant, je pars, et peut-être j'arriverai à temps encore. ” Nous étions devant sa porte, il m'invita à monter. Une fois installé dans son petit entresol, je n'hésitai plus, en voyant de près cette noble douleur, à lui découvrir la mienne : " S'il est temps pour vous, il l'est