Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/360

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oncle, et, je n'osais me le dire, la tour de Couaën. Sept longues années s'étaient écoulées depuis que j'avais quitté ces bois d'heureux abri. Il n'y avait plus un être vivant qui m'y attirât ; mais j'avais besoin des lieux, des plages. Revêtu d'un ministère nouveau, je voulais bénir le champ de mort de mes pères ; je voulais, homme mûr, m'incliner en pleurs vers mon berceau, me rafraîchir un peu aux vierges ombrages de l'enfance, me repentir le long du sentier de convoitise de l'adolescent. Avant d'entreprendre une marche pénible et infatigable dans les routes populeuses, il me tardait de faire ce détour pour respirer encore une fois l'odeur des bruyères, pour m'imprégner, en pleine saison, de cette fleur éparse des vives années et du souvenir sans fin de quelques âmes.

C'est par une belle après-midi, qu'étant descendu de voiture à la ville prochaine et reparti à cheval aussitôt, le long des haies, des fossés, des champs de blés rougissant par le soleil et non pas blondissant, comme ailleurs ; croisant çà et là quelques troupeaux de petits moutons noirs sur les gazons ras et fleuris, j'arrivai à la maison de mon oncle, qui était la mienne depuis sa mort, qui avait été ma demeure d'enfance et de jeunesse jusqu'au terme de mon séjour dans la contrée. J'en aperçus d'abord à travers la claire-voie, les fenêtres garnies presque toutes de nids d'hirondelles, en signe d'absence, et les herbes grandies de la cour. Des chiens inconnus s'élancèrent, en aboyant, à mon approche, et ne s'arrêtèrent qu'à la vue de mon habit :

En ce grave pays, les chiens même reconnaissent, respectent l'habit du prêtre et du clerc. A la fin, le jardinier parut ; c'étaient lui et sa femme qui, depuis des années, gardaient seuls ce logis, et, chaque matin, d'après mes anciens ordres, ils avaient rouvert ces volets et chassé cette poussière, comme si j'eusse dû arriver le jour même : un mot écrit par moi à tout hasard avait été leur loi.