Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/362

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gardien de nos jeunes désirs, le chapelain fidèle de nos premiers vœux et de nos virginales ardeurs ? Tout ce que nous nous étions promis une fois, le soir d'une communion sainte ; tout ce que nous projetions, les larmes aux yeux, en causant avec lui le long du berceau d'aubépines, il l'a tenu ; il n'a pas bougé, il n'a pas dépassé la ville prochaine ; il a étudié, il a prié, il a monté chaque année un degré. Il y a eu un moment dans sa vie où ceux qui, la veille, le bénissaient, il les a, à son tour, bénis, où il est rentré, lévite de Dieu, dans la maison de son père, voyant chacun s'incliner à son aspect ; et cela s'est fait sans interruption orageuse, sans crise, sans absence, comme par ce simple mouvement des saisons qui pousse les arbres et les charge de feuillage. Le jour surtout où l'on rentre soi-même au toit paternel désert, qui n'a pas rêvé un tel ami ?

Il est dit selon la maxime de l'humaine prudence :

“ Passez souvent dans le sentier qui mène chez l'ami ; car autrement l'herbe y croîtra hérissée de broussailles. ” Ce conseil est bon envers les amis qu'on rencontre tard envers ceux que la convenance, un attrait frivole ou délicat, un intérêt et un but commun nous associent : mais il est des amis d'enfance, des amis qui se sont faits à l'âge où les âmes se forment, avant qu'elles aient pris leur dureté virile et que l'écorce s'en soit épaissie ; il est de ces amis qu'on ne voit jamais, qu'on retrouve une fois après dix ans seulement, qu'on n'a pas eu besoin d'entretenir ni de réparer, et qui sont toujours les plus sûrs, les plus chers au cœur. L'herbe sans doute a crû dans le sentier durant l'intervalle, elle y a poussé comme une forêt ; mais quand on y repasse, après un si long temps, ce n'est que plus doux, et les ronces même y ont leur charme comme dans la bruyère du vallon natal.

Moi, j'étouffais de pleurs, je suffoquais de souvenirs, faute d'un tel ami qui m'aidât à les porter. Que la nuit