Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/367

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pour une convalescente. - “ Monsieur Amaury (car je veux toujours ainsi vous appeler), s'écria-t-elle la première d'un ton de voix dont je compris tout l'effort délicat et l'intention consolante, est-ce bien vous que nous revoyons ! et quelle grâce de Dieu vous amène ? ” Et elle me parla des événements de l'intervalle, de la grande résolution que j'avais conçue et accomplie, et qu'elle avait, disait-elle, tant admirée ; de ce qu'elle en avait écrit souvent à cette bonne tante que nous avions perdue, et quelle satisfaction ç'avait été pour celle-ci avant de mourir, m'aimant tout à fait comme l'un des siens. Après ces mutuels regrets sur madame de Cursy, je lui parlai de sa fille, si avancée déjà, sa compagne si attentive, et de cette précieuse éducation suivie à loisir durant tant de longues journées en ces années solitaires. - Une idée brusque la saisissant, elle me demanda si je n'avais rien su du tout de l'arrivée de quelqu'un au château avant d'y entrer, et comme je lui dis que j'ignorais absolument toute arrivée et que j'étais uniquement venu pour revoir au passage, pendant une seule heure, des lieux si impossibles à oublier, elle répliqua par un mouvement involontaire, adoucissant en chemin, du mieux qu'elle put, sa funeste pensée par un sourire (pensée, au reste, qui rejoignait précisément la mienne) : “ C'est singulier, on pourrait croire que c'est le Ciel exprès qui vous envoie. Et en effet, monsieur Amaury, qui sait si bientôt quelqu'un n'aura pas ici besoin de vous ? ” Un silence de nous tous suivit cette triste parole.

M de Couaën eut un sensible mouvement, soit de douleur, soit de mécontentement et d'embarras ; et il se pouvait qu'il fût embarrassé de ma présence, qu'il fût choqué surtout de l'idée d'une intervention possible de mon ministère. Le premier, il rompit l'entretien en parlant de la fatigue qu'on devait éviter dans la position de madame de Couaën, et tous les deux nous sortîmes.