Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/37

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

moi et poussait devant elle la petite de Guémio, promenant au hasard dans la brune chevelure de l'enfant une main que la lune argentait ; - ce qu'il me faut, c'est une occasion d'agir, une épreuve par où je sache ce que je vaux et le donne à connaître aux autres ; c'est un pied dans ce monde d'événements et de tourmentes à bord de ce vaisseau de la France d'où nous sommes comme vomis. A quoi donc va se passer notre jeunesse ? La terre tremble, les nations se choquent sans relâche, et nous n'y sommes pas, et nous ne pouvons en être, ni contre ni avec la France. Un moment, et ce moment a été beau, le combat s'est ouvert par nous : on se mesurait des deux parts ; Cazalès a parlé, Sombreuil a offert sa poitrine , on a pu mourir. Nous trop jeunes alors de peu d'années pleins de sève aujourd'hui, que faire ? Les rois sont tombés et, du fond de l'exil, la voix des leurs ne nous arrive plus. Nos pères qui devaient nous conseiller, nous ont tous manqué en un même jour et n'ont pas de tombe. L'oubli à notre égard a remplacé la haine, et ce n'est plus la hache, mais le dédain qui nous retranche. Au tonnerre roulant des batailles nous opposons ici des trames d'araignée et des chuchoteries de complots. Oh ! mademoiselle Amélie, dites, n'y-t-il pas de honte de vivre sous ce doux ciel quand investis de spectacles gigantesques on ne peut exhaler sa part d'âme et de génie, dans aucune mêlée, pour aucune cause, ni par sa parole ni par son sang ? ” Et elle souriait avec tristesse à cet enthousiasme qui débordait, applaudissant dans son cœur à ce que sa lèvre appelait folie, et, chaque fois que revenait dans mon discours cet élan impétueux vers l'action et vers la gloire, elle répétait d'un ton plaintif, comme un refrain de chanson qu'elle se serait chantée à voix basse et sans y attacher trop de sens : Vous l'aurez, vous l'aurez.