Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/374

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écrasée et toujours inflexible, le grand malade qu'à cette heure ou jamais il me fallait aussi guérir. Ayant revêtu l'étole violette et assisté du recteur, je m'approchai de madame de Couaën. Après l'avoir prévenue de quelques endroits où elle aurait à répondre oui, monsieur, à mes questions, j'entrai dans l'application du sacrement, et j'opérai bientôt les onctions en signe de croix aux sept lieux désignés.

Ce qui se passait en moi tandis que je parcourais et réparais ainsi avec le sacré pinceau les paupières, les oreilles, les narines, la bouche, le cou, les mains et les pieds de cette mourante, en commençant par les yeux, comme le sens le plus vif, le plus prompt, le plus vulnérable, et dans les organes doubles, en commençant par celui de droite, comme étant le plus vif encore et le plus accessible ; ce qu'enfermait à mon esprit d'idées infinies à la fois et appropriées chaque brève formule que j'articulais ; ce qui, pour mieux dire, s'échappant de mes mains en pluie bénie, roulait en saint orage au-dedans de moi, cela n'a pas de nom dans les langues, mon ami, et ne se pourrait égaler que sur l'orgue éternel. Mais il vous est aisé d'ébaucher une ombre, de vous écrier, si vous le voulez, dans un écho tout brisé et affaibli d'une pensée incommunicable :

« Oh ; oui donc, à ces yeux, pour ce qu'ils ont vu, regardé de trop tendre, de trop perfide en d'autres yeux, de trop mortel ; pour ce qu'ils ont lu et relu d'attachant et de trop chéri ; pour ce qu'ils ont versé de vaines larmes sur les biens fragiles et sur les créatures infidèles, pour le sommeil qu'ils ont tant de fois oublié, le soir, en y songeant !

« A l'ouïe aussi, pour ce qu'elle a entendu et s'est laissé dire de trop doux, de trop flatteur et enivrant ; pour ce suc que l'oreille dérobe lentement aux paroles trompeuses, pour ce qu'elle y boit de miel caché !