Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/379

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d'un petit crucifix que je porte d'ordinaire au cou, don testamentaire de madame de Cursy : il ne s'y montra aucune haleine. J'abaissai avec le doigt sa paupière à demi fermée : la paupière obéit et ne se releva pas, semblable aux choses qui ne vivent plus. Avec le premier frisson du matin, dans le premier éclair de l'aube blanchissante, au premier ébranlement de la cloche, au premier gazouillement de l'oiseau, cette âme vigilante venait de passer ! Ame admirable et chère, envolée pour toujours en ce moment, depuis cette heure où vous êtes entrée dans l'invisible, où, sauf une dernière expiation plus ou moins lente, vous avez été certainement promise à la plénitude des joies de Dieu, depuis lors vos yeux spirituels se sont instantanément dessillés ; le fiel de la mort, comme le fiel du poisson de Tobie, donne toute clairvoyance à ceux qu'il a touchés. Vous savez ce que nous sentons, ce que nous faisons ici-bas, ce que nous avons fait et senti dans les années antérieures, dans ces temps même où vous viviez près de nous sous l'enveloppe du corps et où vous nous jugiez si indulgemment. Oh ! ne rougissez pas trop de nous.

Moi qui vous ai aidée, soulevée avec effort et autorité jusque là-haut, du moment que vous y êtes, je retombe, je m'incline ; c'est à moi plutôt de vous prier. Secourez-nous, belle Ame, devant Dieu ; demandez-lui pour nous la force que nous vous avons communiquée peut-être, mais, hélas ! sans l'avoir assez en nous-même ; et, puisqu'il faut à l'infirmité mortelle, pour marcher constamment vers les sentiers sûrs, un signal, un appel, un souvenir, Ame chaste et chère, intercédez près du Maître pour que vous nous soyez ce souvenir d'au-delà, cette croix apparente aux angles des chemins, pour que vous soyez de préférence l'esprit d'avertissement et l'ange qu'il nous envoie !

Lorsque le marquis entra peu après, je m'avançai à