Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/380

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sa rencontre, et, lui montrant d'une main le corps inanimé, je passai l'autre à son cou : “C'est maintenant qu'elle vit d'une vie meilleure ”, lui dis-je en l'embrassant. La journée fut pénible et bien longue. Nous nous tenions tour à tour ou ensemble, lui, sa fille, le recteur et moi, dans cette chambre muette, où, près des cierges vacillants, vacillait aussi, monotone et triste, sur les lèvres du recteur ou sur les miennes, la psalmodie d'une lente prière. Au dîner j'essayai de rompre le silence morne, en parlant des exemples de saints trépas et des bénédictions qui s'en répandent sur les vivants ; mais je sentais une difficulté extrême à prendre, vis-à-vis de M. de Couaën, le ton de supériorité de mon sacerdoce. Comme le silence revenait toujours, après un de ces moments de pause : “ Mon cher Amaury, me dit M. de Couaën, j'ai résolu de faire élever et entretenir un phare à l'endroit de la chapelle Saint-Pierre. C'est un lieu assez dangereux ; des pêcheurs de nos côtes s'y brisent souvent. Il y aura un garde à ce fanal, et en même temps la chapelle en sera mieux protégée. ” C'était la première fois que je l'entendais se soucier ainsi des pêcheurs naufragés de la côte ; il me sembla saisir comme un bruit lointain d'eaux filtrantes dans les entrailles du rocher.

Je passai le soir et une partie de la nuit à veiller près du lit mortuaire ; mais, presque au matin, M. de Couaën exigea fortement que je sortisse, afin d'être propre aux offices de la journée. J'étais donc à reposer avec pesanteur depuis quelque temps, lorsque le vieux François me vint réveiller et avertir qu'on entendait dans la chambre de la tour, où M. de Couaën avait ordonné qu'on le laissât seul, des gémissements et des cris étouffés qu'il poussait autour de ce corps, mais qu'on n'avait osé ouvrir ni entrer contre sa défense. Je descendis aussitôt, et, en approchant, j'entendis en effet des