Page:Sainte-Beuve - Volupté.djvu/395

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vif et présent de la foi à travers l'écho des paroles, et à me relâcher aussi de l'attention intime, scrupuleuse, sur moi-même, l'estimant plus insignifiante ; et, comme ce résultat était mauvais, j'en ai conclu que ce qui l'amenait n'était pas sûr, tandis qu'au contraire je ne me sentais jamais si affermi ni si vigilant que quand j'étais en train de me taire et de pratiquer.

Ce qui m'a frappé le plus, à mon premier retour d'Amérique, dans la situation de cette France à laquelle j'ai toujours été si filialement attaché, et pour laquelle je saignais jusque sous l'étole durant les années envahies, c'est qu'après l'Empire et l'excès de la force militaire qui y avait prévalu, on était subitement passé à l'excès de la parole, à la prodigalité et à l'enflure des déclamations, des images, des promesses, et à une confiance également aveugle en ces armes nouvelles. Je n'entends parler ici, vous me comprenez bien, que de la disposition morale de la société, de cette facilité d'illusion et de revirement qui nous caractérise ; les restrictions peu intelligentes du pouvoir n'ont fait et ne font que l'augmenter. Cette fougue presque universelle des esprits, si je n'avais déjà été mis depuis maintes années sur mes gardes, à commencer par les conseils de mon ami M. Hamon, - cette fougue crédule d'alentour aurait suffi pour m'y mettre, et m'aurait fait rentrer encore plus avant dans mon silence. Il n'est de plus en plus question que de découvertes sociales, chaque matin, et de continuelles lumières ; il doit y avoir, dans cette nouvelle forme d'entraînement, de graves mécomptes pour l'avenir. J'ai la douleur de me figurer souvent, par une moins flatteuse image, que l'ensemble matériel de la société est assez semblable à un chariot depuis longtemps très embourbé, et que, passé un certain moment d'ardeur et un certain âge, la plupart des hommes désespèrent de le voir avancer et même ne le désirent plus : mais chaque génération